J’ai écris un précédent article sur l’histoire et le fonctionnement de l’évolution :
La vue d'une plume dans la queue d'un paon, chaque fois que je la regarde, me rend malade !
Voici ce qu’écrivais Charles Darwin à un collègue après avoir publié L’Origine des Espèces en 1859. En effet dans un processus de sélection naturelle, seuls les individus les plus adaptés sont capables de survivre et se reproduire dans un environnement. En suivant ce raisonnement, comment expliquer que les paons mâles possèdent une queue si gênante pour voler et si visible des prédateurs ? C’est ce qui inspirera Darwin à proposer une autre théorie brillante : la sélection sexuelle.
Je vais aborder la notion de sélection sexuelle en biologie, qui est une variante particulière de la sélection naturelle. Je vais également expliquer quelques points théoriques sur la reproduction, comme le principe de Bateman.
Quelques définitions
Les Eucaryotes sont un regroupement des être vivants comprenant les animaux, plantes, champignons et algues.
La reproduction sexuée est un processus par lequel la plupart des Eucaryotes multicellulaires transmettent leur matériel génétique à des descendants. La reproduction des êtres vivants est très variée : sexuelle, asexuelle, hermaphrodisme, transfert d’ADN entre bactéries… mais cet article va se focaliser sur les animaux et les plantes.
Les gamètes sont les cellules reproductrices (ovule, spermatozoïde, gamètes mâles contenus dans le pollen etc.). On peut classer la plupart des Eucaryotes selon leur sexe gamétique : les femelles qui produisent des grands gamètes immobiles, et les mâles qui produisent des petits gamètes mobiles.
Pourquoi le sexe ?
Pourquoi existe-t-il deux sexes gamétiques complémentaires à la reproduction ? C’est une question complexe que je vais simplement survoler ici. Certaines plantes ou animaux se reproduisent en faisant des clones d’eux-même (parthénogenèse), comme les pissenlits. Néanmoins, cela concerne très peu d’espèces et ne semble donc pas être une stratégie évolutive ayant eu autant de succès que la sexualité.
La reproduction sexuée semble offrir différents avantages. Une des explications proposée est “l’hypothèse de la reine rouge1” qui postule que les organismes “courent sur place” : c’est à dire qu’ils sont contraints de constamment coévoluer avec d’autres organismes comme les parasites ou les pathogènes (bactéries et virus infectieux) pour survivre. La reproduction sexuée permet de propager des mutations génétiques plus rapidement dans la population par rapport à la reproduction asexuée, telles que des mutations favorables pour résister à une maladie. Il est alors prévisible que les organismes ayant évolué pour se reproduire sexuellement aient eu plus de succès.
La sélection sexuelle vue par Darwin
Pour revenir à Darwin et son paon, il publie en 1871 son livre La Filiation de l'homme et la sélection liée au sexe, dans lequel il avance la théorie de la sélection sexuelle qui est une forme de sélection naturelle particulière. À partir de ses observations, Darwin suggère que chez les animaux sexués, les mâles sont en compétition pour se reproduire avec le plus de femelles possible, en empêchant leur rivaux de se reproduire. Les femelles quant à elle seraient exigeantes dans le choix de leur partenaire, préférant ceux possédant les plus beaux ornements (queue du paon, crinière du lion etc). “Mâles compétitifs, femelles exigeantes”, étaient-ce là les divagations d’un homme en proie au clichés de genre de l’époque Victorienne ? Non, car c’est bien ce qui a été observé depuis chez la majorité des animaux, en conséquence d’un principe biologique qui sera expliqué plus loin dans cet article.
Un point important à noter est que cette asymétrie entre les mâles et les femelle peut mener à un dimorphisme sexuel, c’est à dire une apparence et taille différente entre les deux sexes.
La compétition intrasexuelle
Les animaux du sexe compétitif (typiquement les mâles) utilisent une variété de stratégies pour concurrencer leurs rivaux et tenter de propager leur gènes par la reproduction. Je vais présenter quelques une de ces adaptations.
Une de ces stratégies et le combat pour éloigner un rival, garder un territoire ou défendre un groupe de femelles avec lesquelles un mâle cherche à se reproduire. C’est ce qui peut favoriser l’évolution d’attributs offensifs plus prononcés chez les mâles comme les bois ou les canines.
Mais la compétition ne s’arrête pas à la fin de la copulation : il existe également une compétition spermatique. Dans certains espèces comme la libellule Calopteryx splendens, la sélection naturelle a favorisé chez les mâles une forme de pénis permettant de retirer le sperme de compétiteurs. L’accenteur mouchet est une espèce d’oiseau dans laquelle le mâle donne des coups de becs à l’orifice reproducteur de la femelle pour tenter d’éjecter le sperme des rivaux (la nature est moins romantique que chez Disney). Chez le mulot sylvestre, les spermatozoïdes des mâles ont même évolués pour se regrouper en amas possédant une meilleure vitesse que des spermatozoïdes individuels, afin de devancer les spermatozoïdes rivaux.
Enfin, une autre tactique est l’infanticide des descendants d’un rival. Un lion qui chasse un autre mâle va tuer les lionceaux d’une femelle afin de favoriser ses futurs enfants, et de rendre la femelle fertile plus rapidement (qui ne l’est pas quand elle s’occupent d’un lionceau). C’est un comportement assez présent chez d’autres mammifères, comme les gorilles.
Tandis que les mâles utilisent des tactiques de compétition souvent tape-à-l’œil, il arrive que les femelles soient aussi en compétition de manière moins ostentatoire. C’est par exemple le cas chez les chimpanzés où les femelles cherchent à former des alliances pour monter en hiérarchie dans le groupe, bien qu’elles pratiquent aussi parfois l’infanticide.
Le choix de partenaire
Une femelle qui choisit un mâle veut souvent avoir accès à des bénéfices directs : se faire offrir un insecte bien juteux par exemple chez les insectes hylobittacus apicalis, ou un spermatophore (capsule contenant des spermatozoïdes et des nutriments) chez les grillons mormons, les plus nourrissants étant produits par les plus gros mâles qui seront vus comme plus attirants. Cet apport de nourriture permet à la femelle d’avoir l’energie nécessaire à la gestation ou la ponte. Plus dramatique, parfois le mâle lui-même sert de repas pour propager ses gènes : c’est le cas célèbre des mantes-religieuse (bien qu’en réalité le mâle y réchappe souvent), ou de certaines araignées.
Un autre critère est de sélectionner un mâle avec de bons gènes. Un mâle dont les allèles lui permettent de mieux résister aux parasites ou de mieux se nourrir aura par exemple l’opportunité de développer une couleur plus vive ou une queue plus longue, et sera donc plus attirant pour les femelles “cherchant” à mieux propager leurs gènes en transmettant ces allèles favorables à leur progéniture.
Comme la femelle transmet également sa préférence pour telle ou telle caractéristique à ses descendants, cela semble conduire à des préférences de plus en plus exagérées au fil des générations et expliquerait l’apparition d’ornements flamboyants comme la queue du paon. Ce processus s’appelle l’emballement fisherien (d’aprés le biologiste R. Fisher). Néanmoins les mécanismes précis de l’évolution d’ornements comme la queue du paon mâle sont encore sujet de nombreux débats chez les biologistes !
Les mâles frégates ont une apparence colorée et effectuent un rituel complexe, pendant que les femelles survolent les mâles pour faire leur choix
Peu difficiles en général, chez certaines espèces les mâles peuvent tout de même être exigeants dans le choix de leur partenaire. Ainsi les femelles possèdent aussi parfois des ornements ayant pour fonction d’attirer les mâles : par exemple le gonflement des parties ano-génitales chez certaines femelles primates est un signal de leur fertilité. Cela peut servir à attirer un meilleur mâle et à obtenir plus de ressources en favorisant la compétition entre mâles, ou encore à éviter l’infanticide en s’accouplant avec plusieurs mâles et donc les rendre incertains de leur paternité.
Le principe de Bateman
Pourquoi est-ce généralement les mâles qui sont en compétition ? Pour comprendre, il faut remarquer que les femelles et les mâles ont des gamètes de taille différentes : c’est ce qu’on appelle l’anisogamie. Les mâles produisent un grand nombre de ces petits gamètes (souvent des milliers ou millions) et peuvent ainsi en principe fertiliser de nombreuses femelles. Un trait qui augmente le succès reproductif d'un mâle va donc être favorisé par la sélection sexuelle et se répandre dans la population. À l’inverse, les femelles produisent un petit nombre de gros gamètes et peuvent généralement tous les fertiliser en un seul accouplement. Une femelle a donc rarement un avantage à augmenter son nombre de partenaires. Ce mécanisme est appelé principe de Bateman en référence au généticien anglais Angus Bateman qui l’a montré chez les mouches des fruits dans une étude de 19482.
Le nombre de femelles disponibles pour s’accoupler étant limité, les mâles doivent entrer en compétition pour se reproduire, et un écart marqué dans le succès reproductif des mâles apparaît. Les femelles sont souvent limitée à un seul accouplement pour être fertilisées : la sélection sexuelle favorisent celles qui font le choix d’investir dans un partenaire de qualité.
Cette théorie est ensuite approfondie dans les années 1970 par le biologiste évolutionnaire Robert Trivers, qui propose notamment de prendre en compte le temps de gestation des femelles et les soins parentaux comme l’allaitement et l’élevage des jeunes. Cet investissement parental en temps et en ressources est souvent bien plus conséquent pour les femelles que pour les mâles, ce qui là encore exerce une pression de sélection favorisant les femelles exigeantes. Par exemple, la grossesse d’une éléphante dure un an et demi et l’empêche ensuite de se reproduire pendant quatre ans. Dans l’objectif de propager ses gènes et d’éviter de perdre des années de sa vie à accoucher de descendants faibles ou malades, il vaut mieux qu’elle choisisse un mâle en bonne santé.
Évidemment la nature est riche, les espèces ont leur propre histoire évolutive et vivent dans des environnements variés et il existe donc de rares exceptions. C’est le célèbre cas de l’hippocampe mâle qui portent les oeufs dans une poche ventrale, ou de différentes espèces d’oiseaux dans lequelles les femelles au plumage coloré sont en compétition pour les mâles.
La sélection sexuelle en dehors du règne animal
La théorie de la sélection sexuelle s’applique initialement aux animaux. Cette idée très fructueuse peut pourtant aussi être appliquée à d'autres êtres vivants comme les plantes et les fonges (champignons), bien que cela ait moins été étudié.
Je vais me focaliser ici sur les plantes, et plus particulièrement sur les plantes à fleurs (Angiospermes) qui constituent un exemple manifeste. Les plantes à fleurs produisent des gamètes mâles, contenus dans le pollen et fabriqués par les étamines, et des ovules produits par le pistil. Le pollen est transporté par le vent ou par des pollinisateurs (des insectes comme les abeilles, mais aussi d’autres animaux comme les colibris) pour assurer la reproduction des fleurs. Les grains de pollen arrivent dans le pistil, puis produisent un tube pollinisateur qui fertilisent les ovules pour créer une graine.
Il faut noter que de nombreuses fleurs sont hermaphrodites et peuvent potentiellement s’autoféconder. Néanmoins il est avantageux d’être fertilisé par une plante génétiquement différente, pour bénéficier des avantages de la reproduction sexuée.
Peut on vraiment parler de compétition des mâles et de choix des femelles chez les fleurs ? Vraisemblablement oui : les fleurs mâles sont en compétition pour produire une grande quantité de pollen et attirer les insectes pollinisateurs. Une fois leur pollen déposé dans un pistil, ce pollen se retrouve en compétition avec le pollen rival, dont les tubes pollinisateurs descendent vers les ovules pour les fertiliser. Seuls les mâles dont les tubes pollinisateurs croissent le plus rapidement vont se reproduire.
Pour le choix des fleurs femelles, il semblerait que les plantes fertilisées par du pollen issu de mâles de moins bonne qualité génétique (par exemple “consanguins” avec la femelle) résulterait plus souvent en un avortement de la graine. La plante évite ainsi d’investir des ressources dans un descendant ayant des chances de survie et de reproduction moindres, pour investir dans ses meilleures graines.
C’est tout pour cet article ! J’espère pouvoir le poursuivre en abordant le sujet passionnant de la sélection sexuelle chez l’humain dans un futur article.
Quelques ressources de vulgarisation sur le sujet :
France Culture | La Science, CQFD - Sélection sexuelle, à la queue leu leu
Sources
Futuyma, J. D., & Kirkpatrick, M. (2017). Evolution (4th Ed.). Sinauer, Sunderland, MA: Sinauer Associates.
Krebs, J. R., Davies, N. B., & West, S. A. (2012). An introduction to behavioural ecology (4th ed.). Wiley-Blackwell.
Jamie C. Moore, John R. Pannell,
Sexual selection in plants,
Current Biology,
Volume 21, Issue 5,
2011
En référence à un personnage d’”Alice de l'autre côté du miroir”