L’évolution est probablement l’une des découvertes scientifiques les plus révolutionnaires de l’histoire. Les preuves accumulées en faveur de l’évolution sont considérables et ses applications sont vastes : comprendre l’origine d’une épidémie, aider à préserver les espèces en voie d’extinction, tenter d’expliquer certains comportements humains et bien plus encore. Depuis sa découverte elle a également influencée des philosophes et idéologues variés, de Marx, Nietzsche à Freud en passant par le mouvement eugéniste.
Malgré tout, l’évolution et la sélection naturelle sont des idées parfois mal comprises. Je vais donc parler de l’histoire de ces théories, décrire leur compréhension actuelle et finalement évoquer quelques-unes de leurs implications philosophiques.
Histoire de l’évolution
Depuis les philosophes antiques Platon et Aristote et par la suite dans l’occident chrétien, on considérait la nature comme étant hiérarchisée selon une “grande chaîne du vivant” : en haut Dieu, puis en dessous les humains, supérieurs aux mammifères, eux-même supérieurs aux coquillages et aux plantes. Chaque espèce était perçue comme ayant une essence propre et inchangeable. Il était également communément admis que les animaux apparaissaient spontanément à partir de matières comme la boue, et que l’existence de différentes espèces était le résultat de la création divine.
A partir du 19ème siècle, l’idée d’une transformation progressive des espèces gagne du terrain. Une des théories les plus connues de l’époque est celle du naturaliste Jean-Baptiste de Lamarck, qui propose que les caractéristiques développées par les individus pendant leur vie sont transmises à leurs descendants. Pour Lamarck, les fils des forgerons ont des bras musclés car leur père a développé ses muscles par son travail, et les girafons ont un long cou car leurs parents ont étirés leurs muscles pour atteindre les feuilles.
En 1831, le jeune Charles Darwin a la chance d’être invité en tant que naturaliste pour une expédition de cinq ans autour du monde qui lui permet de collecter et d’observer de nombreux spécimens. Plus tard, il lira un essai de l’économiste Thomas Malthus, qui soutient que l’augmentation croissante de la population risque d'entraîner des famines et des conflits condamnant les individus à une “lutte pour l’existence”. Cela inspirera à Darwin l’idée de sélection naturelle : les individus les plus adaptés survivent et se reproduisent plus que les autres.
Darwin publie finalement L'Origine des espèces en 1859, dans lequel il expose ses deux idées novatrices :
L’évolution : Tous les organismes descendent d’une ou plusieurs formes de vie originelles et accumulent des différences au fil du temps.
La sélection naturelle : Le mécanisme principal de l’évolution est la survie du plus adapté. Les individus possédant les variations les plus avantageuses pour survivre et se reproduire transmettent ces variations à leur descendance et finissent par devenir plus fréquents dans la population.
Les théories de Darwin furent très controversées mais en partie acceptées par les scientifiques. Un des mystère restait de comprendre le fonctionnement de l’hérédité et de la variation des caractéristiques.
Le moine tchèque Gregor Mendel découvre ces mécanismes de l’hérédité : il cultive des milliers de petits pois et théorise les principes de transmission de chaque caractéristique (couleur de la fleur, forme de la graine etc.). Il publie ses résultats en 1865, qui restent largement ignorés jusqu’en 1900 quand les “lois de Mendel” serviront de fondation à un nouveau champ d’étude : la génétique.
Dans les années 1930 à 1940, les théories de Darwin deviennent finalement consensuelles avec ce qui sera appelé la synthèse néodarwinienne, ou théorie synthétique de l’évolution. Les travaux de nombreux scientifiques (Ronald Fisher, John Haldane, Theodosius Dobzhansky, Ernst Mayr…) permettent d’unifier l’évolution par sélection naturelle avec la génétique. Bien que la biologie a largement progressé depuis cette époque, la synthèse évolutionnaire reste un des piliers de la biologie contemporaine.
Comment fonctionne l’évolution
Il faut avant tout rappeler un peu de vocabulaire technique. Le phénotype est l’ensemble des caractéristiques observables d’un individu (couleur, taille, comportement etc.). Le génotype est le matériel génétique d’un organisme, stocké dans l’ADN des cellules1.
Voici certains des principes majeurs de la théorie de l’évolution selon sa compréhension actuelle :
L’ensemble des caractéristiques observables d’un individu (le phénotype) sont le résultat d’une interaction entre ses gènes (le génotype) et l’environnement.
L’unité basique de l’hérédité est le gène (ou locus). Les différentes variantes d’un gène sont les allèles : par exemple un gène déterminant le groupe sanguin peut produire le groupe A ou B selon l’allèle.
La variation génétique se produit par des mutations aléatoires, c’est à dire des erreurs de copies de l’ADN lors de sa réplication pendant le phénomène de multiplication des cellules.
L’évolution est le changement d’une population, et non d’un individu. La fréquences des allèles varie au cours de chaque génération, ce qui modifie la fréquence des phénotypes.
La sélection naturelle est un des mécanismes majeurs de l’évolution : c’est une sélection aveugle entre différents types d’entités biologiques en fonction de leur succès reproductif (ou “fitness”).
La dérive génétique est l’autre processus principal de l’évolution : c’est une modification aléatoire de la fréquence des allèles causée par des événements accidentels liés à la survie, à la reproduction et à la méiose (la production d’ovules ou de spermatozoïdes).
Tous les organismes forment un “grand arbre de la vie” qui a évolué par la ramification d'ancêtres communs en diverses lignées. Toutes les formes de vie descendent d'un ancêtre commun lointain.
Chaque espèce possède des adaptations, qui sont des caractéristiques qui favorisent sa survie ou sa reproduction dans un environnement.
Les caractéristiques acquises au cours de la vie d’un organisme ne sont pas héritées par ses descendants.
Contrairement à certaines idées encore répandues, l’évolution n’a pas de but, par exemple celui de progresser vers des formes de vies complexes ou “supérieures” comme l’humain. Bien qu’unique par différents aspect, Homo Sapiens n’est pas “plus évolué” que d’autres organismes simples qui lui sont contemporains, et sa spécificité vient en partie de l’extinction de toutes les espèces Homo apparentées.
L’image iconique de la marche du progrès, représentant un primate se redressant progressivement pour finalement devenir Homo Sapiens est un exemple d’une représentation qui peut être trompeuse, en suggérant une évolution linéaire et dirigée vers l’humain. La conception de la sélection naturelle comme de la “survie du plus fort” est également faussée car il s’agit de la survie et de la reproduction des individus les plus adaptés (de façons très diverses) à leur environnement.
L’énigme de l’altruisme
Considérer que ce sont les individus qui cherchent à survivre et à se reproduire pose parfois des problèmes : comment expliquer les comportements d’investissement parental ou ceux des insectes sociaux dont les travailleurs sont stériles ?
Pour mieux comprendre, il faut revenir à une question longtemps débattue en biologie, qui est celle de déterminer à quel niveau s’opère la sélection naturelle : au niveau du gène, de l’individu, du groupe ?…
Différentes réponse sont admises par les biologistes, mais il est bien accepté que le gène peut être considéré comme l’unité sur laquelle opère la sélection naturelle. En pratique, cela équivaut généralement à considérer la survie et la reproduction de l’individu : si un gène cherche à se répliquer, le moyen le plus efficace est souvent de coopérer avec d’autres gènes au sein d’un organisme qui va se reproduire et ainsi propager son matériel génétique.
L’origine des comportements altruistes devient donc plus claire quand on considère que les comportements des individus sont le produit de la sélection naturelle sur les gènes. Le gène avec le meilleur succès de réplication est celui qui favorise un organisme à investir dans sa propre progéniture qui contient ce même gène, ou à aider les individus les plus proches génétiquement : ce principe s’appelle la sélection de parentelle. Le biologiste John Haldane plaisantait sur le sujet qu’il “serait prêt à mourir pour deux frères ou huit cousins” : on partage 50% de nos gènes avec nos frères et soeurs et 12.5% avec nos cousin·es, favoriser leur survie est donc en théorie “aussi avantageux” du point de vue du gène.
Évidemment l’évolution de l’altruisme et de la coopération est un vaste sujet, notamment car il existe également des comportements de coopération avec des individus qui ne partagent pas nos gènes.
Implications philosophiques
La pensée évolutionniste permet de replacer l’homme dans la nature : l’humain n’est pas si spécial car il est le produit d’un processus d’évolution aveugle, au même titre que tous les êtres vivants. Cela vient concurrencer un imaginaire largement répandu qui considère l’humain comme détaché des autres animaux et supérieur à eux.
Certaines des implications philosophiques les plus intéressantes viennent probablement de la réflexion sur les origines évoluées du comportement humain. Des chercheur·euses de nombreuses disciplines2 tentent de comprendre l’origine évoluée de différents phénomènes comme la morale, les émotions, la guerre, la religion, le choix de partenaire et bien d’autres. Philosophiquement, cela pose de nombreuses questions : sur quoi fonder la morale si nos intuitions morales s’avéraient être de simples préférences inconscientes favorisant notre survie et reproduction ? Les comportements humains sont-ils largement déterminés par des mécanismes inconscients évolués ? La science peut-elle identifier une “nature humaine” universelle ?
Quoi qu’il en soit, les sciences comportementales évolutionnaires sont en pleine ébullition et génèrent de nombreuses discussions que ce soit chez les scientifiques ou les philosophes. Une sujet étudié est par exemple la tentative d’apporter des fondements évolutionnaires aux sciences sociales comme la psychologie et la sociologie.
Pour terminer voici quelques ressources si vous vous intéressez au sujet :
Le Gène Égoïste de Richard Dawkins, un livre classique de vulgarisation sur l’évolution de la coopération.
France Culture | La Méthode scientifique - L’humain, un animal comme les autres
France Culture | Les Chemins de la philosophie - Qu’est-ce que la sélection naturelle ?
La série de vidéos très intéressante du vulgarisateur Homo Fabulus sur la psychologie évolutionnaire :
Sources
Futuyama. 2017. Evolution
Aubin et al. 2019. Bescherelle - Chronologie de l'histoire des sciences
Certains virus stockent leur matériel génétique dans de l’ARN, une version plus ancestrale de l’ADN.
Par exemple la psychologie évolutionnaire, l’anthropologie évolutionnaire, l’écologie comportementale humaine, la sociobiologie, les sciences cognitives ou les neurosciences.